
RIEN QUE POUR LE PLAISIR !
MICHEL ROURE RACONTE :
LA RENARDE AU JARDIN

Devant la chapelle de Thiers, au Cimetière du Père-Lachaise, Renarde observe Paris. Bien campée sur ses pattes, l’œil vif et la queue bien touffue, le museau en alerte, elle hume l'air. Elle a laissé ses quatre renardeaux, sous la garde de Renard, dans leur gite de l’allée du Dragon et, maintenant que la nuit est tombée, il est temps de partir en chasse, car sa famille a faim, très faim !
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Le cimetière ne recèle pas de proies intéressantes. Elles sont trop difficiles à attraper à cause des tombes dans lesquelles les proies se réfugient, même pour une renarde bien rusée. « Allons voir ailleurs ! »
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Mais Renarde ne connait pas Paris. Elle arrive de la région de Meaux, à marches forcées, car, là-bas, sa famille n’est plus en sécurité. Trop de chasseurs, moins de gibier ! En outre, un vieux renard solitaire lui a conseillé de visiter Paris, car, actuellement, il s’y passe des choses bizarres : gens calfeutrés, rues vides, boutiques fermées, voitures à l'arrêt et aucun bruit. Les parcs et les jardins sont déserts et regorgent de rats, de mulots, d’oiseaux, de reste de viande, de merveilleuses poubelles totalement accessibles !
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La famille ne se l'est pas dit deux fois ! Hop, elle est partie !
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Et, maintenant, il faut y aller ! Renarde a senti plein de délicieuses odeurs de l'autre côté du mur. Elle part à toute allure, la truffe au vent, tous les sens en éveil. Elle dépasse les tombes, se faufile par un trou du mur dans une rue voisine, la rue du Repos, et s'engage sans hésiter dans une descente par la rue de la Roquette.
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Tout à coup, elle s'arrête ! Un chat ! Il est pétrifié de terreur ! Elle bondit, mais le chat, plus rapide, s'engouffre sous un porche en miaulant de peur. Alors Renarde poursuit sa course et arrive devant un espace rempli de grands arbres tout feuillus : c’est le Square de la Roquette. Elle en fait le tour et s'aperçoit rapidement que les grilles sont très hautes et quasi infranchissables. Mais pas pour elle, la rusée Renarde ! Elle entre et explore l’endroit. Ce qu’elle ne sait pas, c’est qu'avant, il y avait ici une prison, mais elle remarque que ce square est bien joli avec ses grands arbres, ses beaux massifs de fleurs, son terrain pour le sport et ses jeux pour les enfants. Pourtant, elle ne fait aucune prise ! « Tant pis, se dit-elle, je vais aller plus loin. Ce jardin n'est bon que pour les chats ! »
Alors, elle repart par la rue Servan, la rue du Chemin vert, la rue du Général Guilhem pour s'arrêter devant le Square Maurice-Gardette. Elle saute la grille sans problème et s'aventure dans le jardin. « Ça sent bon le mulot, pense-t-elle. » Et elle a bien raison, car, devant elle, ça galope ! En deux coups de dents, Renarde en avale trois ! Elle est fort contente ! Cet espace lui plait : il y a plein de bonnes odeurs de légumes, de céréales, de plantes. Tout-à-coup, elle tombe à l’arrêt. Elle a senti un canard. À pas feutrés, elle s'approche d'une mare entourée d'une petite barrière. Elle ne s'est pas trompée: un canard y somnole ! Les muscles de la Renarde se tendent pour un grand bond ! Mais, au moment de bondir, elle dérape sur un petit camion abandonné par un gamin !

Le bruit réveille le volatile. Il décolle à tire-d'aile et évite de justesse le bond acrobatique de la Renarde ! Zut, c’est raté !!
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Renarde repart par la rue du Chemin vert où l’odeur de jeunes arbres vient lui rafraichir le museau, elle croque un petit rat parti sottement à l'aventure et elle descend la rue Lacharrière, trottinant sur de la terre fraiche récemment installée, un bonheur pour ses pattes endolories par le goudron ! D'un seul coup, elle s'arrête : devant elle, il n’y a que du vert ! Elle est au milieu du Square des Moines-de-Tibhirine devant lequel s'étend le vaste Jardin Truillot. Elle y galope et, là, s'en donne à cœur joie, rampant sous les vignes, reniflant les légumes des jardins partagés, se roulant dans l'herbe haute et croquant encore un jeune mulot !
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« Mais hélas, se dit-elle, il faut rentrer ! Nourrir les petits ! Maintenant ! »
Elle remonte le boulevard Voltaire, mais pourchassée par voiture - eh oui, il en reste
encore -, elle se perd rue Richard Lenoir, fait demi-tour devant le Jardin Olga-Bancic, remonte la rue de Belfort, passe devant le Square Jean-Allemane et trotte devant celui de la Folie-Regnault.
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Il lui faut de la nourriture pour ses petits ! Soudain, ô miracle, remontant la rue du Mont Louis, elle tombe sur une poubelle regorgeant de viande ! Elle la renverse et se saisit d'une grosse patte de dinde déjà bien avariée. Un délice !
Enfin, elle peut revenir auprès de sa maisonnée qui lui fait un triomphe !
« Décidément, c’est vrai que Paris est une ville sympa ! Je compte bien faire d’autres expéditions, » se dit Renarde, avant de s'endormir, grisée par sa nuit de chasse.

Le lendemain soir, après discussion, c'est au tour de Renard d’y aller. Il se dirige vers la gauche, car Renarde lui a dit qu'il y avait encore de la verdure à explorer de ce côté-là, mais il se rend compte immédiatement que tout y est calme. « Le vieux renard solitaire avait raison, se dit-il. On dirait une ville désertée ! » Le monde est à lui et les renards sont les rois de Paris ! Tout à ses pensées, il s'arrête juste devant le Square Emile-Gallet, reconnaissable à son cadran astronomique géant. Là, il se souvient que son père tenait de son père qui tenait de son père qu'un renard, revenu de Londres, avait fait le récit de son séjour dans cette ville. Ce dernier avait fait partie d’un cirque itinérant, mais s'était échappé dès son retour. Il avait fini ses jours près de Château-Thierry
que tous les renards connaissent bien : en effet, selon La Fontaine, ils s'y rassemblent tous les ans lors de leur jamboree ! Ce renard-là avait raconté, qu'à Londres, les renards sont nombreux et vivent en harmonie avec les habitants. Du coup, l’ambiance y est assez sympathique… Renard imagine que la même chose à Paris serait formidable ! Mais est-ce possible ?

Il reprend sa route, emprunte le boulevard Voltaire, bifurque par la rue de Chanzy. Il a senti de l'eau et il a soif ! Il se contorsionne pour passer sous les grilles du Jardin de la Folie-Titon. « Que c'est beau ici ! » Il arrive vite à la mare et lape son eau avec délices. Une grenouille qui rêvassait sur un nénuphar se réveille. La lune brille et reflète sa silhouette de goupil sur l'eau mordorée. il repart : là, un corbeau ! Malade, le malheureux volatile se traine dans le caniveau. Renard s'en saisit et l'égorge ! Le corbeau dans la gueule, il remonte vers le Père Lachaise par le boulevard du Ménilmontant. La famille pourra manger un peu ce soir !
Après ce repas, Renard, sa bien-aimée et les renardeaux s'assoupissent ; leurs rêves se peuplent de parcs, de jardins, remplis de poules et de lapins. Ça n'est qu’un rêve ! Mais il leur reste tous les espaces verts du 11e qu'ils ont découverts et appréciés !
Dans le 11e, en plus de tous les jardins parcourus par Renarde et Renard, il y a beaucoup d'autres jardins et espaces verts, quasi-inexistants il y a vingt ans. C'est le résultat des très gros efforts pour les mettre en place réalisés par les autorités en place du 11e arrondissement et les nombreux mouvements citoyens écologistes.
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Pour le bien-être de tous et, surtout, des Renards !
MICHEL ROURE
